22h. La neige venait tout juste de cesser de tomber et couvrait d’un épais manteau blanc la cours du pensionnat. Cian, le gardien depuis maintenant trois siècles, se tenait devant la maisonnette qu’on lui avait attribuée la main en coupe devant son briquet tout en tirant une taff de la clope qu’il était en train d’allumer. Seule une chemise couvrait ses épaules alors qu’il faisait un froid de canard, mais étant vampire il en avait cure. Son chat, bien au chaud à l’intérieur, le regardait comme s’il était tout bonnement cinglé mais cela aussi il n’en avait absolument rien à faire. A cette heure, il n’avait nul besoins de passer pour « normal » et il se préparait à aller faire sa ronde habituelle afin de voir si des petits malins n’avaient pas eu dans l’idée d’aller faire un tour dans cette neige fraichement tombée.
Glissant son briquet dans sa poche, il commença son petit tour. La légère bise coulait sur sa peau froide, se glissant dans la chemise dont il n’avait pas pris la peine de fermer complètement et faisait danser quelques mèches de ses cheveux non prise dans le ruban qui les ordonnait. Cela faisait un peu vieillot mais il avait une sainte horreur de ces élastiques modernes… il laissait ça aux gamines… Et en parlant de gamines… il releva les yeux vers les fenêtres du dortoir des filles et s’aperçu, que comme d’habitude, une petite blonde s’y tenait, l’épiant. Il avait eu vent qu’elle s’était éprise de lui. Comme quoi il y avait vraiment des masochistes même chez les gamines. Lui, le gardien froid, au regard assassin et à l’amabilité quasi-inexistante avec ces chers petits élèves, comment pouvait-il attiser un quelconque amour chez l’un d’entre eux ? Du désir encore il pourrait saisir mais de l’amour !? Enfin bref, il laissa donc la blondinette à sa contemplation, tant qu’elle le faisait de sa chambre il n’en avait absolument rien à faire, et poursuivit sa progression sous la lune jusqu’à ce qu’une – ou plutôt plusieurs dans le cas présent – odeur humaine vienne titiller ses narines.
Sa première réaction fut de s’arrêter afin de museler sa soif, qui ne le quittait absolument jamais mais la journée le cocktail d’odeurs humaines lui permettait de relativiser les choses. La nuit, par contre, s’était autre chose. Son odorat et son ouïe étaient plus au repos. Du coup, une odeur humaine lui donnait de suite l’eau à la bouche… Saleté de sang de porc qui ne comblait en rien cette soif. Les cous humains lui manquaient, le sang chaud coulant dans sa gorge aussi, tout comme la chasse et le jeu de séduction qu’il avait avec ses proies… proies misent à mort parce qu’il ne savait pas se contrôler. Le sang était sa drogue dure. Ce n’était pas pour rien qu’il s’en était sevré depuis maintenant trois siècles… mais il savait aussi qu’il pourrait très bien sombrer à tout instant. Il n’y avait qu’à voir les souvenirs qui venaient de ressurgir à cause d’une simple odeur humaine et la pointe de regret qu’il avait ressenti en y resongeant.
Agacé, il jeta sa clope à demi consumée dans la neige et se dirigea vers les odeurs. Humeur massacrante bonjour ! Un petit groupe de jeunes se tenaient près du mur d’enceinte et parmi eux se tenait l’odeur maudite, celle qu’il fuyait le jour mais l’obnubilait pendant des heures… celle qui lui promettait milles délices… celle qu’il maudissait encore et encore… Celle d’Innocent MacKindel, petit humain au visage d’ange et au sang terriblement irrésistible. Tous les membres du personnels vampiriques avaient eu pour consigne de garder un œil sur lui afin d’éviter un drame avec les autres pensionnaires vampires. Il devait veiller sur sa vie mais Cian se disait qu’il était plus en sécurité trèèès loin de lui. Il était son petit diablotin, celui qui vous chuchote qu’il serait bon de reprendre un régime d’un vampire digne de ce nom, et jusqu’à présent il n’avait nullement eu besoins de l’aborder, ce dernier étant un élève modèle. Alors que diable faisait-il dehors à cette heure avec une bande de resquilleurs ?
« Je peux peut être vous aider… »
Sa voix glaciale figea sur place la petite équipe et tous devaient bien se douter que ce n’était en rien une proposition cordiale d’offrir son aide. Il foudroya du regard un à un des humains, s’attardant bien malgré lui sur Innocent, ses orbes ambre glissant furtivement sur son cou avant de passer au suivant puis reprit la parole.
« Alors quelles excuses allez-vous me servir ce soir ? Le coup de pas vu l’heure ? Bidon, la lune est haute et la nuit tombée depuis belle lurette… le coup du mauvais jour de la semaine, oubliez… Me prendre pour un imbécile ne me rendra pas plus docile… Alors quoi ? Je vous écoute ! Ne soyez pas timides ! Surtout qu’il y a des petits nouveaux parmi vous… Une initiation à la connerie peut être ? »